Le commerce triangulaire à Bordeaux
Le commerce triangulaire que l'on appelle aussi la "traite des Noirs" était un commerce d'échanges réalisé entre l'Europe, l'Afrique, l'Amérique (entre trois continents donc, d'où son nom de "commerce triangulaire").

Les navires quittaient le port de Bordeaux avec des marchandises de faible valeur (tissus bon marché, verroterie, armes à feu ...) et allaient les échanger en Afrique (surtout sur les rives du golfe de Guinée, au large du Sénégal) contre des esclaves noirs africains qu'on appelait "bois d'ébène". Ces esclaves étaient livrés souvent par des chefs de guerre africains. C'étaient donc souvent des Africains qui réduisaient d'autres Africains à l'esclavage...
L'historien Daniel PRATT MANNIX assure que les chefs de guerre africains ont livré 98% des esclaves africains aux capitaines européens.
Si les Portugais furent les premiers à organiser le commerce triangulaire vers 1441 avec un capitaine nommé Antao Gonçalvès ..., le premier navire négrier ne quitta le port de Bordeaux qu'en 1672.

Ces derniers étaient ensuite conduits en Amérique (Antilles, Etats Unis, Brésil ...) où ils étaient réduits à l'état d'esclaves et travaillaient dans les champs de coton ou de canne à sucre.
Les navires revenaient ensuite en Europe avec des produits américains (sucre de canne, café, cacao) qui étaient achetés à bon marché et revendus très cher en Europe car ils étaient recherchés par la population.
L'historien Joseph INIKORY assure que la traite des Noirs a fait en tout 112 000 000 de victimes pour 21 000 000 d'esclaves déportés.

En prévision du transport de plusieurs centaines d'esclaves, les navires étaient équipés d'un plancher intermédiaire permettant d'entasser les esclaves dans les cales et d'en obliger d'autres à s'allonger pour toute la traversée. Il fallait également prévoir des citernes pouvant contenir assez d'eau pour des mois de traversée.
Les navires négriers comptaient tous un équipage de 45 marins pour 600 esclaves. On ne prévoyait que 2,8 litres d'eau par jour par esclave mais cela veut dire qu'il fallait embarquer 140 000 litres d'eau pour une traversée.
Les marins étaient souvent des hommes fuyant la justice de leur pays et ils n'hésitaient pas à maltraiter les esclaves.

Les chefs de guerre africains pratiquaient le troc, c'est-à-dire l'échange avec des marchandises venant d'Europe. Pour un esclave homme, il fallait prévoir :
- soit 5 pièces de tissu en général des "indiennes"
- soit 2 fusils
- soit 6 pistolets
- soit une centaine de balles
- soit beaucoup de verroteries très appréciées pour les parures.
Les femmes valaient moins cher mais il fallait en acheter pour "assurer la reproduction des futurs esclaves".
Pour éviter que les navires restent trop longtemps à quai et qu'ils perdent trop de temps, les armateurs européens avaient créé des "esclaveries", des prisons pour esclaves comme celle de Gorée, au large de Dakar, au Sénégal, où les esclaves attendaient "d'être embarqués" pour l'Amérique.

Les navires bourrés d'esclaves font alors route pour l'Amérique. Les conditions de vie des esclaves pendant cette traversée sont horribles !
Ils sont entassés, enchaînés dans les cales. On les libère tour à tour pour qu'ils dansent, pour que leurs membres ne s'ankylosent pas.
En cas de révolte, les marins ont le droit de les tuer à condition d'en conserver suffisamment pour la revente en Amérique.
La pire répression est rapportée par l'historien Hugh THOMAS. Elle a eu lieu sur le bateau négrier danois, en 1709, le "Friedericus Quartus"...
Le meneur de la révolte a une main tranchée et exposée devant les autres esclaves le premier jour.

Le second jour, la seconde main du meneur est tranchée et exposée devant les autres esclaves. Le troisième jour, on lui tranche la tête et on expose son torse pendant deux jours au sommet de la grande vergue.
Beaucoup d'esclaves meurent néanmoins, par insuffisance de nourriture, de place ou par manque de soins. En cours de traversée, on perd souvent environ un cinquième des esclaves embarqués. Pourtant, la vente des survivants rapporte beaucoup d'argent et les armateurs bordelais s'enrichissent beaucoup.

Les armateurs de Bordeaux ont construit de très grandes fortunes avec le commerce triangulaire. Les capitaux ainsi accumulés ont pu servir à acheter des terres, à construire de très beaux bâtiments en pierre comme tout le coeur de Bordeaux et ont aussi été investis dans l'industrie qui faisait son apparition en Europe.
Les armateurs de 17 villes de France ont pratiqué le commerce triangulaire. 3 317 bateaux négriers ont quitté les ports français. Si Nantes reste le premier port négrier français avec 1 427 bateaux négriers, Bordeaux se situe au 4ème rang avec 393 bateaux négriers... C'est beaucoup !
D'après les calculs des historiens, les armateurs bordelais ont déporté environ 235 000 esclaves africains.
Aujourd'hui, on peut être surpris que ce trafic ait été si longtemps considéré comme normal et que personne n'ait protesté.

Une ordonnance du roi Louis XIV qu'on appelle le "Code Noir" le réglementait et en fixait les conditions. Même les évêques et les cardinaux le trouvaient normal puisque cela permettait d'enseigner à des païens la « vraie religion ».
Au XIXe siècle, le commerce d'esclaves à travers l'Atlantique fut peu à peu interdit mais il resta un trafic clandestin.