Clémence et Alison : trois histoires

Madame, Monsieur,
Je viens d’apprendre que vous organisez un concours de chants, dimanche 13 janvier, à 14H00, à la salle des fêtes de Donville. Je suis un peu âgée, mais je chante encore fort bien. J’étais autrefois une chanteuse reconnue et j’entraîne toujours aussi régulièrement ma voix. J’aimerais donc, si cela est possible, être inscrite à ce concours.
Mon nom est Clémence Lebourg. J’habite à Donville. Pourriez-vous, je vous prie, bien vouloir confirmer mon inscription en m’appelant au 0620374096.
Je vous remercie par avance.
Clémence Lebourg

Cette lettre, je voyais bien qu’elle ne m’était pas destinée. Peut être que le facteur avait fait une erreur, peut être était-elle tombée sur le trottoir et peut être que quelqu’un l’avait ramassée puis déposée dans ma boîte aux lettres.
Je n’ai pas pu m’en empêcher. Je l’ai gardée. Cela fait des années que je rêve de faire un concours de chant. Tous les jours, je m’entraîne à chanter. Je voudrais être célèbre, passer à la télévision, répondre à des interviews, avoir des fans.
Je prends des cours de chants, deux fois par semaine et ma professeure dit que j’ai une belle voix. « Il faut que tu travailles encore, mais tu as déjà bien progressé », m’a-t-elle dit la semaine dernière. Ce concours, la voilà l’occasion ! Je vais y aller et je vais l’emporter ! Et tant pis pour cette concurrente ! Je sais que ce n’est pas bien mais c’est un signe du destin : si cette lettre m’est parvenue, c’est qu’il est dit que c’est moi qui dois y aller et que c’est moi qui vais gagner.

Chaque année, au mois de janvier, depuis une dizaine d’années, le comité des fêtes de Donville organise un concours de chant. Cela fait venir beaucoup de monde et en hiver, cela fait passer un bon après-midi. Ce concours est si réputé, maintenant, dans toute la région que c’est un présentateur célèbre de la télévision qui l’anime. Les musiciens sont de vrais professionnels et le premier prix est l’enregistrement d’un CD.

Ma mère m’a enfin autorisée. Elle a en a mis du temps ! Il fallait que je range ma chambre toujours en bazar, que je lui ramène des bonnes notes du collège, que je sois gentille avec elle et que je l’aide à tout faire dans cette maison. Pff ! Elle exagère mais bon, elle a enfin accepté.

Ma professeure de chants a été géniale ! Elle m’a donné des cours supplémentaires. Elle m’a conseillée et surtout elle a choisi une chanson qui me va à merveilles. C’est sûr ! Je vais gagner ! « Quelle tenue vas-tu mettre ? » me demanda t-elle. Ah ! les habits de scène ! Je n’y avais pas pensé.
Maman m’accompagna tout un après midi dans les magasins. « Prends ci, prends ça... 
- Non, ce n’est pas ce que je veux ! »
Je l’ai épuisée, la pauvre, et enfin j’ai trouvé. Je vais m’habiller tout en rouge. Je porterai une robe à paillettes, un chapeau et des petites chaussures.

Clémence, elle, s’impatientait. Tous les jours, elle attendait le facteur, espérant recevoir la réponse à sa demande d’inscription. Elle tenta plusieurs fois de téléphoner mais à chaque fois, on lui répondait que la personne qui s’occupait des candidats au concours n’était pas disponible. « Je suis trop vieille, se disait-elle, ils ne veulent pas de moi. »
Les jours passaient et Clémence ne recevait toujours aucune nouvelle.
« Qu’importe, après tout ! Je suis prête à chanter. Dimanche prochain, j’irai quand même, et on verra bien !  »

Le jour du concours, la salle des fêtes de Donville fut comble. Les spectateurs s’étaient assis sur des chaises, en face la scène. En attendant le spectacle, ils faisaient des commentaires sur le décor, et sur l’énorme matériel technique qui avait été installé. « C’est formidable! C’est encore mieux que l’année dernière » entendait-on.
Le jury, lui, se tenait tout près du devant de la scène. Dans les coulisses, les candidats étaient nerveux. L’arrivée de Clémence ne passa pas inaperçu. Elle était habillée à la façon des chanteuses de rue des années 1950. L’autorité et le charisme qui se dégageaient d’elle lui attirèrent des regards admiratifs.

Puis le concours commença. Pour chaque candidat, l’animateur annonçait son nom ainsi que le titre de la chanson qu’il allait interpréter. Le public réagissait à chacun des passages par des applaudissements et des sifflements plus ou moins importants selon la prestation. Dans l’ensemble, tout se passait dans une ambiance amicale et enthousiaste.

Alison fut saisi d’un tremblement quand on annonça son nom. Il lui semblait que ses jambes ne la portaient plus.
« Ne t’inquiète pas, lui dit Clémence, tout va bien se passer, concentre-toi sur ta chanson »
Le chef des musiciens donna le signal de départ et les premières notes retentirent. Alison produisit une performance remarquable. Tout le public fut suspendu à sa voix et lorsqu’elle acheva son chant, la Salle applaudit à tout rompre
«  Tu vois, je te l’avais dit, tu es fantastique ! », dit Clémence à Alison, à son retour dans les coulisses.

Puis, l’animateur annonça la fin du concours et le moment du vote. Clémence surgit alors, sur la scène en disant d’une voix forte qu’elle s’était inscrite à ce concours et qu’elle voulait chanter.
« Calmez vous, madame, dit le présentateur. Je n’ai pas votre nom sur ma liste. »

Dans les coulisses, Alison était rouge de honte. C’était à cause d’elle que Clémence n’était pas inscrite. Elle repensait aux mots d’encouragements que Clémence lui avait dits avant de chanter, puis à ses félicitations, ensuite.
Alison n’y tint plus. Elle se précipita sur la scène et dit :
«  Si cette dame n’est pas inscrite, c’est de ma faute. J’ai reçu sa lettre par erreur, et je l’ai jetée. Je lui laisse ma place. »

Un brouhaha envahit la salle. « C’est bien la première fois qu’un tel scandale arrive ! » s’exclama un des membres du jury. « C’est inadmissible ! » reprit un autre.
Clémence et Alison se regardaient silencieusement. Alison s’approcha de Clémence et lui prit la main.
« Excusez moi, madame, dit Alison, j’avais si envie de faire ce concours
- Ne sois pas désolée. Même si ce n’est pas très joli ce que tu as fait là, tu chantes merveilleusement bien et tu mérites de gagner ce concours. »

Leur échange fut interrompu par le président du jury.
« Madame, vu les circonstances, nous prenons en compte votre inscription. Vous pouvez donc chanter »

Clémence entonna alors un chant sans accompagnement musical et sans micro. La force, l’harmonie de sa voix emplirent tout l’espace. Au second couplet, elle invita Alison à la rejoindre et toutes les deux reprirent, en chœur, une chanson qui émut jusqu’aux larmes les spectateurs et les membres du jury. Le premier prix leur fut attribué, sous les acclamations du public.

Depuis, Clémence et Alison sont devenues inséparables. Leur premier prix leur permit d’enregistrer un recueil de chansons de rue qui eût un beau succès. Elles répètent toujours ensemble et participent à tous les concours de chants que Clémence déniche dans les journaux.

FIN

Epilogue

Cela faisait un moment qu'Alison y songeait. Et puis un jour...
"Demain, Clémence, je t'invite au restaurant.
- As-tu quelque chose à fêter, Alison ?
- Tu verras, c'est une surprise. Mets ta plus belle robe. Je passerai, avec me parents vers onze heures trente. Tiens toi prête !"

Clémence n'en demanda pas davantage. Le lendemain, à l'heure prévue, tous se mirent en route vers un des plus jolis restaurants de la région.

"Oh la la ! Cela doit être un évènement important à fêter", pensait Clémence, avant d'entrer dans l'établissement .
" Prépare toi à un choc !" dit Alison à Clémence, en lui prenant le bras.
Lorsqu’elles pénétrèrent dans la salle, un homme se dressa de sa chaise et s'écria.
" Clémence !"
Alors qu'il s'approchait d'elle, Clémence le reconnut.
"Raymond ?
- Oui, c'est moi.
- Mais..., mais que fais tu là ?
- C'est Alison qui m'a prévenu.
- Alison ?..."

Clémence regarda Alison. Elle était très émue.
"Mais comment..., Comment as tu fait pour retrouver mon amoureux ?"
"Il y a si longtemps. Je te croyais disparu" dit-elle à Raymond, avant de le serrer dans ses bras.
Des yeux de Raymond, perlaient des larmes. Ils s'approchèrent de la table et s'assirent.
" Moi aussi, je pensais que..." chuchota Raymond.
Alison et ses parents les rejoignirent.
"Tu vois, Clémence, avec Internet, on trouve tout le monde, même son premier amoureux ! »
"Mais pourquoi ne m'as tu jamais écrit ? demanda Clémence à Raymond.
"C'est une longue histoire que je te raconterai. Mais sache que je n'ai jamais aimé que toi. C'est extraordinaire ce qui nous arrive.
- Moi aussi, Raymond, je n'ai jamais pensé qu'à toi, pendant tout ce temps. Je ne te remercierai jamais assez pour cela, dit-elle à Alison, en l'embrassant. C'est la plus merveilleuse des surprises qui ne m'a jamais été faite."

Quelques temps plus tard, les deux amoureux s'installèrent dans la maison de Clémence. Raymond céda son appartement situé à Paris où Alison poursuit, aujourd'hui, ses études au conservatoire.

Inès